C'est dur de dire quand ça a commencé, la conception de ce voyage... Des songes d'enfant, lorsque enfermée dans une cage en métal pendant des trajets interminables sur la route des vacances, je m'imaginais flotter dans l'air, libre de tout mouvement sans contrainte et sans destination, juste un vécu jouissif d'un corps qui se meut à sa guise.


Des récits de voyage de mon père qui fut plusieurs mois sur les routes d'Amérique du Sud, à une époque où les autoroutes du tourisme n'étaient pas encore tracées ? Oui l'amour de mes parents pour le voyage, ça c'est sûr qu'ils me l'ont transmis.


L'espagnol, je l'ai rencontré en 4eme, et j'ai aimé profondément cette langue, Mme Biagetti était une prof formidable qui avait la passion de son métier et ça m'a donné une motivation personnelle pour apprendre quelque chose à l'école : pour la première fois, j'avais l'impression que travailler une matière scolaire me nourrissait intérieurement, c'était pas pour avoir des bonnes notes, la paix avec mes parents ou l'approbation des profs.


Et puis au lycée, quand toute la société me faisait horreur et que le rouleau compresseur d'une vie bien rangée qui devait forcément être mon avenir me terrorisait, combien de fois avec les copains on a imaginé partir ? Partir loin, partir pour toujours, dire merde à la France, merde à nos parents, merde à notre nihilisme naissant et partir chercher... Quoi en fait ? ... La foi ? L'envie de vivre comme on l'entendait, selon nos rêves... De rencontrer, créer, partager.... "dès que j'ai 18 ans, j'm'achète un camtar et j'me casse !!" Partir à l'arrache et sillonner les routes du monde, combien de fois on l'a rêvé sur le point de vue de Belbeuf en contemplant les usines de Babylone qui s'étendaient sous nos pieds, en refaisant le monde à coup de grandes rigolades aux yeux rouges ?!


Et puis la réalité de la vie qui te rattrape, les peurs de ta famille, la pression de la société qui te dit "si t'as pas de travail tu n'es

rien"... Alors les études, puis un enfant... L'utopie d'adolescent ça attendra... Et j'enferme dans une petite boite cette enfant indignée qui hurle à la trahison.


J'ai 25 ans, Zolan a un an. J'achète un camion que je veux aménager pour "Partir Vers L'est Jusqu'à Ce Que La Mer M'arrête". Dormir où bon me semble, la liberté, la liberté la liberté la liberté.... pas de contrainte sociale, de la subversion, mode pirate ! Du bonheur en dehors des normes... De l'autonomie, oh ouais ! Le camion est fini, je démissionne du CDI en IME où j'ai décroché mon premier poste de psychomot'. ... Et je pars pas !


Besoin de régler deux trois trucs de mon histoire pour être assez forte, claire avec mes idées et mon identité... Que Zolan grandisse un peu... Et me voilà enfin prête !


Ce grand voyage, c'est maintenant.